Claude Vigreux

Photos Philippe de Lespinay, Bernard Chevrot, François-Marie Dumas et Christian Lacombe

Je dois bien l'avouer, le nom de Claude Vigreux ne m'était pas inconnu, mais il m'était moins familier que les Rougerie, Pons, Léon Chevalier et autres pilotes Français des années 70 dont les posters tapissaient ma chambre d'ado.

En regardant un peu en arrière, j'ai découvert tous ces pilotes des années 60 qui ont été les précurseurs de cette décennie de pilotes talentueux. Parmi ces noms, celui de Claude Vigreux revenait sans cesse. Par mail ou sur les forums on me demandait souvent de parler de ce pilote qui a fait rêver les motards un peu plus âgés que moi. J'ai alors commencé à chercher des renseignements ... mais la moisson fut bien maigre pour pouvoir rendre hommage à ce pilote. Mais au fil des mois, de rencontres en mails échangés et grâce à François Gomis et Jean Claude Jacq nous avons collationné des photos, vidéos et témoignages de personnes l'ayant bien connu. 

Je tiens donc à remercier, Philippe de Lespinay, Jean Claude Morenas et Christian Lacombe pour leur aide précieuse. 

BIKE 70 est heureux de rendre hommage à ce brillant pilote qu'était Claude Vigreux, qui a trouvé la mort le 30 avril 1967  sur le circuit de Mettet ... Claude Vigreux repose au cimetière de Cernay La Ville (78). 

Francis 

Le témoignage de Philippe de Lespinay  

Mon ami Claude

Ma première rencontre avec cet homme exceptionnel se passa à l’autodrome de Montlhéry fin 1962. Claude venait de gagner la catégorie 250 cm3 Sport avec sa 175 Morini. A l’époque, je « tirais les bouts de ficelles » pour pouvoir courir avec mon cyclomoteur Italjet, acheté avec du mal à crédit chez Pierre Bonnet, et que j’avais modifié. Claude me prit sous sa protection en quelque sorte, je devins son ami. Nous faisions un peu les 400 coups, mais nous étions quant même loin d’être des sauvages ! Sa grand-mère l’adorait, c’était visible, et lui achetait les motos et voitures qu’il désirait. Etait-il un enfant gâté ? Peut-être, mais il ne m’en a jamais donné l’impression. Il était d’un caractère très calme et ne perdait pas son temps. Il était toujours occupé, roulait énormément, cherchait des solutions aux problèmes, et me montrait tout ce qu’il avait en plan. C’était pour moi, qui venait d’une famille extrêmement traditionnelle, un meilleur professeur de vie que n’importe lequel des abrutis intellectuels que je souffrais quotidiennement au lycée… 

Il était haï (sic) par sa mère et son environnement familial n’était pas des plus détendus. Il avait de vrais amis, comme Jean-Claude Morenas, Bernard Cognet et moi-même. Chacun de nous était traité individuellement, nous n’étions pas un “gang”. Il respectait beaucoup les motocyclistes traditionnels, ceux qui avaient du caractère, comme Marcel Seurat ou Alain Barbaroux. Nous étions directement en compétition dans la catégorie 50 cm3 Sport, mais Claude n’en avait que faire et transportait ma moto et la sienne dans son break Citroën, et payait pour tout puisque je n’avais pratiquement pas d’argent. Nous partagions les chambres d’hôtel, les filles, les voyages… Il était extrêmement généreux pour moi, et je n’étais pas le seul. Il était tout le contraire d’un égoïste. 

Claude estima assez rapidement que la France de l’époque était politiquement étranglée, et nos voyages dans les pays européens nous ont rapidement ouvert les yeux sur la différence en disponibilités d’équipements, liberté générale et coût de la vie. Nous pensions nous établir en Italie du nord ou en Suisse.

Ayant assisté à pas mal de courses en tant que spectateur et en même temps ayant couru contre lui (mais seulement en 50 cm3), ayant été son passager maintes fois en moto et auto, j’avais réalisé qu’il avait un talent exceptionnel, bien au delà de mes propres capacités. En France, le seul qui m’impressionnait autant était Jean-Pierre Beltoise. Ses premiers résultats « médiocres » sur la MATRA F3 ne reflétaient pas ses qualités. Ce n’était à mon avis qu’une histoire de temps avant que Claude ne se retrouve devant. Le passage de la moto à l’auto n’est pas souvent facile, mais il ne faut jamais oublier qu’il avait été le plus vite au Volant Shell, et pas seulement sur un tour. Il ne faudra jamais oublier non plus les performances extraordinaires réalisées sur la Velocette 500 préparée par Leconte. Grâce à son talent, Claude battait régulièrement les Norton Manx, Matchless G50 et autres avec une moto qui était franchement en retard d’une guerre… Pour ce qui est du Kreidler 50 cm3 préparé par Leconte à partir d’un Florett de série, les Derbi étaient « furieusement » plus rapides. Mais encore une fois, nous, les Derbi-istes, n’étions pas a sa cheville en pilotage. 

Ce qu’il m’a appris, je l’ai concrétisé aux USA dans les années 1970 où j’ai enfin compris ses enseignements et où j’ai eu pas mal de succès. Mais de 1964 à 1966, nous étions des gamins face à lui, lui, un géant. Fin 1966, Claude avait rencontré une fille vraiment au dessus du niveau habituel, et il parlait de se fiancer et de se marier. Nous avions voyagé tous les trois en Suisse et Italie, nous parlions de projets… Son « assassinat virtuel » par les imbéciles qui organisaient la course à Mettet m’avait énormément choqué. C’est peu après que j’ai émigré aux USA car je voulais une vraie séparation avec ma vie précédente.
Claude restera mon ami jusqu’a la fin de mes jours, un ami qui m’a tant appris sur la vie, la philosophie de liberté individuelle, la recherche du talent, d’une vie sortant de la médiocrité. Je lui dois tout.

Philippe de Lespinay (propos recueillis par François Gomis) 

Le témoignage de Jean-Claude Morénas 

J’ai connu Claude quand il avait 17/18 ans, il avait deux ou trois ans de moins que moi. Il est venu au magasin de mon père, Louis Morénas. Le magasin s’appelait Moto-Centre à Longjumeau (91). 

Mon père était spécialiste des anglaises et des side-cars des motards de presse. Il était aussi Peugeot, Solex et Lambretta. Claude est donc venu à la boutique pour acheter une 250 Aermacchi Ala Verde que mon père lui a vendu. Claude habitait à la sortie d’Antony. Sa mère lui préférait sa soeur ! Il était très remuant, très gentil mais remuant. Sa mère était donc sévère avec lui, alors il sautait par la fenêtre de sa chambre au premier étage quand il voulait sortir. Par contre sa grand-mère, qui était mandataire aux Halles et avait des moyens, l’adorait et a fait beaucoup de choses pour lui. Claude a fait le G.A.R.A.C.* comme Pierre Landereau** et moi. On y était ensemble mais pas dans la même promotion avec une année d’écart je crois. 

Le département moto du G.A.R.A.C. était plus ou moins dirigé par Monsieur Couturier père qui a était importateur Laverda et Morini à Neuilly (92). Claude venait d’Anthony à l’école tous les jours en moto, alors que moi j’étais pensionnaire. Je venais avec mon cyclo en début de semaine et repartais en fin de semaine. Normalement, le G.A.R.A.C était réservé aux fils de professionnels, mais si Claude a pu y rentrer, c’est que l’école avait dû s’ouvrir. On était déjà amis avant l’école. Je pense que c’est moi qui ai couru le premier. Je travaillais alors chez Pierre Bonnet, importateur entre autres des marques Itom, Peripolli et Italjet et qui sera ensuite importateur Suzuki. 

J’ai couru d’abord avec un Motom puis avec Itom. Jean-Pierre Beltoise aussi a couru pour les établissements Bonnet avec un Itom 3 vitesses. J’ai racheté cette moto en fin de saison. L’année suivante, Bonnet avait préparé un 4 vitesses Itom de A jusqu’à Z pour Beltoise et Jean-Claude Serre, programme dirigé par Maurice Petit, de la famille de Pierre Bonnet. Là encore j’ai racheté cette machine à la fin de l’année. Très rapidement, Claude s’est fait remarqué. Il avait d’une part ses entrées chez Couturier (175 et 250 Morini) et d’autre part chez le motociste et importateur Robert Leconte qui lui a passé une Vélocette et un Kreidler Florett préparé. 

Un petit mot sur le fameux Kreidler d’usine 12 vitesses, très célèbre à l’époque, avec une boîte-relais extérieure 3 vitesses qui se prenait sur l’arbre de sortie de boîte. Ce n’était pas 12 vitesses au sélecteur. C’était 1 au sélecteur, 1 à la main gauche avec un système comme les Vespa, etc. Donc 4 vitesses au pied et 3 à la main ! Le tout sur 500 tours de plage d’utilisation… Le rétrogradage se faisait au pied. Taveri et Provini, des Champions du monde, n’arrivaient pas à le conduire ! Kreidler leur avait donc fait des machines de route mais avec la boîte à 12 vitesses pour qu’ils puissent rouler sur route et s’habituer ! (N.D.L.R. : en 1964, l’usine Kreidler a prêté un 12-vitesses version 1963 à Claude Vigreux sur recommandation de Beltoise. Précision apportée par Philippe de Lespinay). Claude devait me le faire conduire en fin de saison à Montlhéry, mais il y a eu l’accident. Sa partie cycle Rickman Metisse, c’était la première que l’on ait vue en France. Je faisais une carrière Nationale avec quelques résultats en 50 Itom et 175 Morini surtout à Montlhéry, Avignon, Lyon (au Parc Gerland), Marseille, etc. et j’ai fait l’inauguration de Magny-Cours. J’avais un style déhanché, je basculais à l’intérieur, comme maintenant. Il me reste une photo à Montlhéry la seule course où l’on a couru à l’envers, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Par contre en auto, j’ai fait plus, un an de mécanicien en Formule 3 et coéquipier en rallye avec notamment C. Ballot Léna. 

Des Monte-Carl, Tour de France, Tour de Corse, etc. Donc avec Claude, on avait les mêmes passions, on sortait ensemble, on était voisins, il avait son box avec ses motos pas loin de chez moi. Il avait commencé une collection de moteurs de motos anglaises entre autres un 350 Norton longue course, un Matchless, etc. Le beau-frère de Claude m’a téléphoné le soir (N.D.L.R. : de l’accident), je suis tombé dans les pommes.  

Après l’accident, la moto est revenue de Belgique dès le lundi. J’ai tout de suite démonté la boîte de vitesses de la Rickman. La boîte lui avait été prêtée par Monsieur Valentin de Lyon (le fabricant de la « Barbulton », deux moteurs de Bultaco assemblés pour une cylindrée de 350 cm3 et une 500 cm3. Cette moto a été conduite par Patrick Depailler et par Jean-Pierre Beltoise. M. Valentin avait acheté cette boîte 6 vitesses en Autriche. Claude avait promis de lui renvoyer cette boîte dès son retour parce que M. Valentin l’avait prêté à un autre pilote pour le week-end d’après. Ça été fait. Ce qui m’avait impressionné, c’est que sur sa Rickman les tubes de fourche, qui étaient énormes pour l’époque, avaient été découpés comme avec une lame de rasoir sous la violence du choc. Deux jours après, son box a été cambriolé, tout a été volé forcément par quelqu’un qui le connaissait. Ce qu’il restait de la Rickman n’a pas été volé. Sa famille a dû reprendre la Rickman. Claude a voulu faire une carrière automobile en même temps que la moto, mener les deux de front. Il avait gagné le Volant Shell***. Il s’est peut-être un peu trop dispersé. Sa grand-mère aurait pu l’aider sur quatre roues comme elle l’a aidé sur deux roues. En résumé, un garçon passionnant et passionné qui a brûlé sa vie par les deux bouts, vécu sa passion, et qui a bien eu raison. 

Jean-Claude Morénas  (propos recueillis par François Gomis) 
* G.A.R.A.C. : École nationale des professions de l'Automobile, de la moto et du véhicule industriel, Argenteuil 95. http://www.garac.com/
** Pierre Landereau était un pilote et une personnalité de la moto et de l’auto.
*** Volant Shell : célèbre école de pilotage automobile comparable au Casque Total en moto. Vigreux Jean-Claude Morénas 2 

L’accident (Philippe de Lespinay)

Claude Vigreux est mort en course le 30 avril 1967 à Mettet (Belgique) lors du 28e Grand Trophy de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Au deuxième tour de la course des 500cm3, le groupe de tête arrive dans la courbe la plus rapide du circuit. Le pilote belge Robert Claeys y pousse encore sa moto qui n'a pas voulu démarrer. Le premier pilote, Billie Nelson, l'évite, mais Claude Vigreux qui était très près ne voit pas Claeys et le percute violemment. Les deux pilotes sont tués sur le coup. Dans la confusion, un pilote anglais, John Denty, chute en voulant éviter des débris et s'écrase sur une maison du bord de piste. Sa moto heurte un câble d'acier censé interdire l'approche du public et ce câble sectionne les jambes d'un spectateur, Michel Gilet, qui meurt peu après. John Denty décèdera quelques temps plus tard dans un hôpital de la région.

PALMARES
Merci à Philippe de Lespinay