Le week-end du des 7 et 8 juin 1975, j'étais sur le circuit Paul Ricard, pour le premier Moto Journal de l'histoire. Avec mes amis, comme à chaque fois où nous descendions au Castelet, nous plantions nos tentes au bord du circuit, juste sous la bute qui dominait notre virage fétiche, le "double droit du Beausset". Lors des essais nous avons été surpris par la performance d'un pilote que peu de monde connaissait, aussi nous nous sommes précipités dans le paddock pour voir de près ce nouveau phénomène qui avait réussit à réaliser la pole devant le gratin de la vitesse mondiale de l'époque ... Après un moment d'attente derrière le grillage, nous avons aperçu un pilote en combinaison rouge et blanche ... ce n'était pas possible que ce petit jeune homme aux lunettes, qui ressemblait plus à un instituteur qu'à une bête de course, ait pu faire trembler, les Ago, Cecotto, Duhamel, Pons, Palomo ... Nous avons demandé un autographe à ce pilote timide et j'ai gardé en mémoire ce visage souriant qui paraissait presque s'excuser d'être là et d'avoir focalisé tant de monde sur sa petite personne. Je n'oublierai jamais également ses premiers tours de folie, où il avait "largué" tous les favoris de la course et même le roi Ago, en deuxième position, loin derrière Steve ne pouvait rien faire. Et il y a eu cette chute. Nous étions aux premières loges, dans le difficile "double droit du Beausset" Steve perd le contrôle de sa Yamaha et glisse longuement en se tenant au guidon. Il se relève indemne sous les applaudissements du public ... Steve Baker venait de conquérir le cœur des Français. Francis Boutet
Dans l'ombre du King
(Par Jacques Bussillet - photos Manfred Mothes)
Steve Baker - Né le à Bellingham (Etat de Washington) le 5/9/1952 - Vainqueur à Daytona (1976), Imola (1977/80), MJ 200 (1977) Champion du monde de Formule 750 en 1977 Vice-champion du monde 500 en 1978
Le talent est indispensable à tout bon pilote, mais il ne suffit pas à faire un grand champion. Il faut aussi de l'ambition.
Steve Baker, héros des années 70, est passé de la lumière à l'oubli aussi vite qu'il a négocié les grandes courbes d'Imola ou d'ailleurs. En lisant l'article sur les courses de 200 Miles, publié dans le dernier Moto Légende, le red' chef m'a interrogé : mais qui est ce Steve Baker ? Il semble qu'il ait fait jeu égal avec les meilleurs pilotes du monde, mais on n'entend jamais parler de lui ! J'ai failli répondre : " A l'époque où il courait et gagnait, c'était déjà comme ça !
" Steve Baker est un Américain de la côte nord-ouest, autant dire le bout du monde, qui est arrivé un beau jour sur le circuit Paul Ricard et a sidéré tout le monde par son attaque et sa classe, jusqu'à ce qu'il se prenne une gamelle spectaculaire, immortalisée par l'objectif de François Beau. Moto Journal en avait fait sa double page centrale, et, du jour au lendemain, tous les fans de vitesse ont eu envie de voir ou revoir ce petit homme à lunettes, aussi effacé dans le paddock que spectaculaire en piste.
De lui, on ne savait rien du tout. Faux canadien Quand on demande à Kenny Roberts quelle est sa photo préférée, il désigne sans hésiter une image qui a fait la une de Moto Journal après les 200 Miles d'Imola en 1977. On le voit plein angle devant Steve Baker dans la courbe du Tamburello.
Quand je lui ai demandé ce qu'elle avait de spécial, il m'a répondu en rigolant : " Avoir Steve Baker aux fesses à cet endroit-là, à cette vitesse-là, avec cet angle-là, c'est extrêmement spécial ! "
Rarement King Kenny aura fait un tel compliment à un autre pilote, le jaugeant à l'aune de ses propres capacités.
Steve Baker était un pilote exceptionnel dans les grandes courbes, ce qui n'est pas (ou n'était pas) courant pour un coureur nord américain à l'époque. A ce propos, il convient de préciser que tout au long de sa carrière, Baker a entretenu une équivoque, laissant entendre qu'il était canadien, parce qu'il était le pilote de Yamaha Canada.
En fait, il est né à Bellingham, état de Washington, tout près de la frontière du Canada.
Son père l'avait initié très jeune à la moto et, las de devoir sans cesse l'emmener derrière lui, avait acheté un 80 Yamaha à son fiston. Lequel s'empressa de le coursifier et d'aller faire son apprentissage de la compétition sur une piste de dirt-track voisine, où s'entraînaient des champions locaux. " Quand je me suis aperçu que j'étais plus rapide qu'eux, j'ai eu envie de courir pour de bon ", se souvient-il.
Commence alors en 1969 un cycle classique pour un champion en herbe, Baker écume les courses locales de dirt-track en 100 et 250 cm3 autour de Portland et Tacoma. Ses résultats lui valent de recevoir l'aide d'un concessionnaire Yamaha pour une catégorie, et d'un représentant Suzuki pour l'autre.
Noviciat mouvementé Il est promu novice pour la saison 70, n'allant jamais bien loin, sauf une fois. Avec un copain, ils descendent jusqu'en Californie pour se frotter aux champions locaux du half-mile et du TT steeple-chase (avec des sauts) à Ascott. Cette année-là, courant jusqu'à trois fois par semaine, il établit le record de points en dirt-track pour un novice en catégorie 250. " C'était pas très difficile d'engranger des points, vu que je courais beaucoup " dit-il lors d'une interview. Cette façon de ne pas se vanter est bien dans son caractère, simple et effacé.
N'empêche qu'en 1971, lorsque lui vient l'envie de s'essayer à la vitesse, il le fait savoir à Fred Deeley, gros concessionnaire Yamaha de Vancouver, la ville canadienne jumelle de Portland. Le sponsor est d'autant plus intéressé que son pilote fétiche, Yvon Duhamel, vient de le quitter pour passer chez Kawasaki. Chez Fred Deeley, l'homme qui est chargé de suivre l'activité en compétition est un certain Bob Work. Un passionné mais surtout un homme compétent.
Entre lui et Steve Baker, le courant passe tout de suite. Bob Work va se donner à fond pour son pilote, devenant à la fois son mentor, son manager et le préparateur de ses machines. Leur association va les mener loin. Mais il faut tout de même un peu de temps. En 1971, après s'être classé second dans la course des novices à Daytona, Steve est vice champion du Canada en 250 et 350 cm3 ; l'année suivante il rafle les deux titres. " Passer à la vitesse m'arrangeait bien, car je ne me sentais pas très à l'aise sur les grosses 750 de dirt-track utilisées pour le mile. J'ai tout de suite aimé les petites Yamaha de vitesse.
En 72, j'ai rencontré des tas de gens sur les circuits aux Etats-Unis, dont Kel Carruthers qui m'a montré quelques trajectoires. J'ai fini deuxième derrière lui à Talladega en 73, un bon souvenir. Mais après ça, j'ai commencé à m'y croire, et la leçon a été dure.
A Talladega, l'année suivante, je me suis cassé les deux jambes et j'ai perdu une moitié de saison. "
Retour à Daytona Le grand retour a lieu à Daytona début 75, où Steve finit deuxième derrière Gene Romero. Une course qu'il avait abordée avec prudence, compte tenu de ses blessures qui l'avaient handicapé six mois plus tôt, mais aussi de la Yamaha 750 TZ qui n'était pas facile à emmener : " Cette moto ne tenait pas très bien la route, un problème de pneus à mon avis. On utilisait encore des jantes beaucoup trop étroites et on avait tous des soucis pour accorder pneu avant et pneu arrière. Je me souviens de guidonnages terrifiants, surtout sur les circuits canadiens qui n'étaient pas très sûrs. Les choses se sont améliorées avec la suspension cantilever. Mais enfin, c'est avec cette moto que je me suis fait connaître pour de bon. "
Effectivement, la démonstration du numéro 32 à Daytona sur sa moto rouge et noire n'est pas passée inaperçue : le jeune champion est invité aux 200 Miles d'Imola, où il finit troisième au terme d'une longue bagarre avec Patrick Pons, puis au circuit Paul Ricard pour le Moto Journal 200.
Là, pour sa première apparition sur le tracé français, réputé technique et difficile, il signe le meilleur temps des essais et bat le record de la piste devant tout le gratin mondial : Agostini, Duhamel, Cecotto, Pons entre autres. En course, il effectue douze tours en tête avant sa glissade spectaculaire, où ses réflexes acquis en dirt-track surprennent les observateurs. Jusqu'au dernier moment, Steve cherche à contrôler la glisse de sa moto et garde les mains fermement accrochées au guidon. Héros malchanceux, il repart du Castellet avec les honneurs même si, cette saison-là, un autre débutant tiendra la vedette, un certain Johnny Cecotto.
En 1976, au guidon de la nouvelle TZ 750 d'usine, la fameuse OW31, Steve se concentre sur les championnats canadiens et américains, à la demande de son sponsor, où il remporte une série de victoires impressionnantes, y compris un doublé 250-750 à Laguna Seca.
Son regret, c'est d'avoir cassé à Daytona, parce que les mécaniciens japonais ont demandé à son préparateur Bob Work, contre son gré, de modifier le joint d'embase des cylindres. Il revient aussi courir en Europe, où il accumule les succès, à commencer par les 200 Miles d'Imola. Puis en Angleterre, il remporte quatre courses lors du match anglo-américain, deux à Brands Hatch et deux à Oulton Park, plus la course de l'année à Mallory Park, ce qui donne une idée de son éclectisme, car tous ces circuits sont très différents. Il remporte aussi la manche du championnat de F750 sur le circuit de San Carlos au Vénézuéla, mais cette victoire ne lui procure guère de satisfaction. En effet, il s'impose devant la Kawasaki de Gary Nixon, au terme d'une course faussée par des erreurs de chronométrage. Nixon affirma avoir gagné, puis une polémique fit rage, laissant entendre que les chronométreurs avaient favorisé la victoire d'une Yamaha. " Toute cette histoire et ces soupçons m'avaient agacé. Je me souviens d'une course très dure, à cause de la chaleur et du mauvais état de la piste. J'avais fini épuisé, et il y avait eu toutes ces polémiques dans lesquelles je n'étais pour rien. Sauf que j'avais gagné la course. "
Il est vrai que, contrairement à Nixon, Baker ne s'intéressait pas au championnat de Formule 750, ce qui avait fait monter les enjeux. Déçu par les Grands Prix En 1977, Stevie est au top de sa forme : au guidon de son OW31, il a prévu de disputer tout le championnat de Formule 750. Après une brillante victoire à Daytona, il s'incline d'une roue derrière Kenny Roberts à Imola. Puis il enchaîne les succès : premier à Jarama, Brands Hatch, Salzbourg, Zolder. Avec cinq victoires et cinq places sur le podium en dix courses, il remporte haut la main le titre, avec 131 points contre 55 à Christian Sarron, son dauphin. Stevie a littéralement assommé toute opposition dans la catégorie, il est le premier pilote américain à remporter un titre sanctionné par la FIM et pourtant, sa gloire reste discrète.
A ces brillants résultats, il manque une autre consécration, une victoire en Grand Prix. Car Yamaha lui a demandé de venir courir en 500 aux cotés de Johnny Cecotto et Giacomo Agostini. Si les choses se passent bien avec la 750, il en va autrement avec la 500 de Grand Prix. Elle n'est pas très compétitive face aux Suzuki de Sheene et Hennen. Yamaha fait des expérimentations incessantes, comme les valves rotatives à l'échappement, et pourtant Baker se montre de loin le meilleur des pilotes de la marque. Avec huit résultats sur onze courses, dont trois deuxièmes et trois troisièmes places, il termine le championnat derrière Barry Sheene, avec une confortable avance sur le troisième, Pat Hennen. Cecotto et Agostini sont distancés.
Sur l'ensemble de la saison 77, si l'on fait les comptes, Steve Baker est de loin le meilleur pilote du monde en grosses cylindrées. Mais sa discrétion ne l'aide guère. Entre un Agostini auréolé de tous ses titres mondiaux, et un Barry Sheene dont le sens du spectacle décuple la renommée, Steve Baker est inexistant, ou presque. Cette injustice va le poursuivre dans l'hiver qui suit : brutalement, Yamaha lui annonce qu'il n'est pas question pour lui de reconduire la 500 en Grand Prix, et que, pour la saison 78 il doit se contenter de courir en Amérique du Nord. En fait, l'arrivée de Kenny Roberts est annoncée et l'usine Yamaha, qui a décidé d'engager aussi Cecotto et Katayama en Grands Prix, n'a plus besoin de Baker. Le procédé est pour le moins inélégant, quand on sait combien il s'est battu pour finir autant de courses avec la 500 de 77.
Une fois au point, la machine lui est retirée. Un peu amer, on le comprend, il rompt avec Yamaha et, par l'entremise de Barry Sheene, obtient un guidon sur la Suzuki du team Gallina italien. Mais sa machine, un modèle 77, n'est pas très compétitive et il doit se contenter de maigres résultats. Il finit le championnat en septième position, juste derrière Pat Hennen. En fin de saison, lors d'une course sur le circuit de Mosport, près de Toronto, il chute lourdement, se recassant une jambe et un bras. Déçu de sa saison en Europe, inquiet de sa santé car sa fracture est mauvaise, il décide alors d'abandonner la compétition. " Sur le coup, j'étais un peu amer " confessera-t-il plus tard. " J'aurais bien aimé refaire quelques saisons de Grands Prix 500 avec une bonne machine. Pour des raisons politiques, cela ne s'est pas fait. C'est dommage. "
Ce qui est dommage surtout, c'est de ne pas l'avoir vu en 78 et 79 en arbitre du duel Roberts/Sheene en 500, car, à ce moment-là, Steve faisait largement jeu égal avec ces deux hommes. Qui sait s'il n'aurait pas été en mesure de remporter le titre suprême. Une fois remis de ses blessures, Baker a ouvert une concession Yamaha à Bellingham, sa ville natale. Pendant vingt ans, sans se soucier des anciennes gloires qu'il avait côtoyées, et souvent battues sur la piste, il a mené son affaire et vécu tranquillement, sans chercher à se faire mousser. Tout juste si ses clients savaient à quel grand champion ils rendaient visite. En 2005, Steve Baker a vendu son magasin pour prendre une retraite bien méritée. Invité au Grand Prix de Laguna Seca puis aux Bikers Classic à Spa l'an dernier, il a fait sa réapparition avec toujours le même petit sourire aux lèvres, heureux d'être là mais discret comme à son habitude. A l'orgueil d'un Roberts, ou le charisme d'un Sheene, il opposait humour et gentillesse. Pas suffisant pour devenir un mythe !
L'ami Bob Pendant toute la carrière de Steve Baker chez Yamaha Canada, la silhouette trapue de Bob Work s'est profilée derrière celle, bien plus frêle, de son pilote. Ancien coureur lui-même, sur BSA Goldstar et Manx Norton, Bob Work est naturellement devenu le manager de l'écurie de Fred Deeley, gros concessionnaire de Vancouver, qui avait des relations très étroites avec l'usine Yamaha. Pendant quatre ans, Bob Work a préparé des Yamaha pour Yvon Duhamel puis il s'est mis au service de Baker : " Ce que j'ai remarqué tout de suite chez Stevie, c'est son éclectisme. En dirt-track comme en vitesse, il peut changer de moto et de cylindrée sans problèmes. "Bob Work a soutenu son poulain, y compris face aux mécaniciens de l'usine Yamaha qui ne lui ont pas fait la partie belle sur la 500 en 77. " Si j'avais préparé seul sa moto, je suis sûr qu'il aurait gagné des Grands Prix " m'avait-il confié à l'époque. C'est Bob qui m'avait vendu la mèche sur le secret des Yamaha, les fameuses valves rotatives à l'échappement expérimentées en 1977. Son regret ? " Pendant toutes ces années, je me suis battu pour amener Steve en Europe.Ni Yamaha Canada ni l'usine ne nous ont aidé autrement qu'en fournissant les motos. J'aurais aimé trouver le financement pour faire courir Steve en GP 250 à côté des 750 et des 500 : en 77 et 78, je suis sûr qu'il aurait pu remporter le titre mondial dans chacune de ces catégories. "
VIDÉO - DUKE VIDEO
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